Un caméléon sur une branche
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«Le choc est arrivé très rapidement au courant du dernier mois. Son impact et ses retombées vont prendre du temps à se résorber et cela va demander un soutien continu», estime Richard Rousseau, vice-président du conseil du Groupe gestion privée, Québec, chez Raymond James.

La santé des gens a été une préoccupation immédiate, témoignent tous les dirigeants de firme avec lesquels Finance et Investissement s’est entretenu.

«Notre pire cauchemar des premières semaines était de voir quelqu’un atteint de la COVID-19», lance Paul Balthazard, vice-président et directeur régional, Québec, de RBC Dominion valeurs mobilières (RBC DVM).

Une source d’«insomnies» qui a accéléré la réflexion sur la manière de s’assurer que les employés pourraient travailler au plus vite dans un environnement sécuritaire, à la maison. Tout en pensant aux clients qui «eux autres aussi vivent cette crise sanitaire et financière, et qui ont besoin plus que jamais d’être aidés et accompagnés», dit Paul Balthazard.

Évoquant les quelque 650 employés de RBC DVM au Québec, il est d’avis que «quand tu veux te retourner de bord rapidement et envoyer tout ce monde travailler à la maison de manière efficace et sécuritaire, il faut nécessairement réinventer ses façons de fonctionner».

Bien préparés

Réagir à cette crise, «c’est un peu comme réparer nos avions pendant qu’ils volent», compare Jérôme Brassard, vice-président et administrateur chez RBC DVM. Pour accomplir cet exploit, sa firme a misé en partie sur l’expérience acquise il y a quelques mois, lors du déménagement d’une importante succursale du centre-ville de Montréal, une démarche ayant impliqué la fusion des opérations de plusieurs succursales.

«Nous avions alors longuement réfléchi à un plan de contingence dans le cas où quelque chose ne fonctionnerait pas. Cette réflexion nous a beaucoup aidés dans ce que l’on vit aujourd’hui», constate Paul Balthazard.

Raymond James a aussi puisé dans les fruits de son expérience afin de faire face à la situation. En raison d’un incendie survenu en juillet 2018 sur le toit du 1800, avenue McGill College, au centre-ville de Montréal, la firme a été délogée de ses bureaux du 30e étage pendant près d’un an. Des employés avaient alors été relocalisés dans un autre immeuble et d’autres travaillaient de la maison.

«Des entreprises font des simulations, mais ça demeure théorique. Nous l’avons vécu pour vrai à une certaine échelle, et aujourd’hui, même si 96 % de notre personnel travaille de la maison, la business fonctionne et on s’occupe de nos clients», explique Richard Rousseau.

Le service des technologies de l’information était vraiment prêt, dit-il, précisant que «tout le monde est fonctionnel à la maison et utilise des portables de l’entreprise en toute sécurité. Nous sommes actifs sur le réseau de la firme et c’est aussi sécuritaire que si nous étions au bureau.»

La technologie joue un rôle clé pour maintenir une bonne communication et pour demeurer efficace durant cette crise, indique aussi Frédéric Paquette, vice-président exécutif, affaires et ventes nationales, d’iA Valeurs mobilières. Il précise qu’une bonne partie des employés de sa firme «étaient déjà équipés pour travailler de la maison, comme le prévoit notre plan de continuité des affaires».

Le fait d’avoir misé déjà beaucoup sur la mobilité des employés «au sens large» a certainement facilité la transition au sein de la Financière Banque Nationale, juge pour sa part Denis Gauthier, premier vice-président et directeur national. «Nous avons implanté dans les dernières années des aires de collaboration et une organisation plus fluide du travail, ce qui fait que ton ordinateur te suit et devient ton bureau.» Une façon de faire visant un travail aussi aisé à la maison qu’au siège social.

Cette démarche a entraîné une utilisation répandue de plusieurs outils technologiques, comme Skype et Microsoft Teams, «tant à la maison que pour aller voir les clients ou faire des présentations à distance», ce qui se révèle fort utile aujourd’hui, constate Denis Gauthier.

Malgré tout, le défi pour les conseillers et leurs équipes demeure l’organisation du travail à distance, estime-t-il, signalant que la majorité des employés avaient quand même l’habitude de travailler depuis le bureau. «Si les conseillers étaient plus régulièrement sur la route, ce n’était pas le cas des adjoints, et il y avait souvent des rencontres en personne. Ça requiert toute une adaptation d’un point de vue du travail, mais aussi dans une perspective humaine.»

«L’ajustement requis se trouve probablement plus sur le plan humain que technologique», convient d’ailleurs Richard Rousseau.

Afin de pallier cette soudaine distanciation sociale, les courtiers ont tous mis en place une série de mesures destinées à soutenir l’ensemble de leurs employés, principalement en communiquant régulièrement avec eux, de plusieurs façons. Les dirigeants consultés évoquent notamment des téléconférences, des vidéo-conférences, la publication de rapports de marchés et d’analyses économiques, l’organisation de rencontres sociales virtuelles, et la présence accrue de groupes de soutien internes.

«J’ajouterais que les gestionnaires prennent également le temps d’appeler les conseillers individuellement pour discuter de la situation, répondre à leurs questions et s’enquérir de leur bien-être, de celui de leurs familles et de leurs clients», indique Frédéric Paquette.

La clé : bien communiquer

La communication est toujours importante, mais en temps de crise, elle l’est encore plus, souligne Denis Gauthier.

«La communication client, c’est la clé dans une crise et nos conseillers sont de vrais chefs d’orchestre, dit-il. On est dans une industrie où on rencontre habituellement les clients en personne, mais il reste le bon vieux téléphone, et des outils comme Teams qui permettent de faire des appels avec caméra si le client est à l’aise. Ça amène une touche de proximité.»

Et cela contribue probablement à une certaine stabilité, selon Denis Gauthier. «Le client semble plus éduqué que lors de la dernière crise. Ce n’est pas plus plaisant, mais c’est une crise à la fois sanitaire et financière, et non pas seulement financière. On a donc l’impression que nos clients, puisqu’on agit en amont et qu’on communique avec eux, se disent qu’il y a un capitaine sur le bateau.»

Les conseillers ont relevé le défi de gérer les émotions de leurs clients, et de façon générale, les clients n’ont pas capitulé ni jeté l’éponge, constate Paul Balthazard. «On a pris l’approche de donner plus d’information que moins et nos clients n’ont sûrement pas lu ou vu tout ce qu’on leur a fait parvenir, mais ils ont certainement eu le sentiment d’avoir été très soutenus», dit-il.

«Je suis dans l’industrie depuis 35 ans, j’étais là lors de la crise de 1987, mais un événement comme celui-ci, qui est plus que financier et économique, c’est du jamais vu pour notre génération, dit Richard Rousseau. Avec le leadership et l’empathie qu’on observe de toutes parts, ça va être intéressant de voir la suite.»