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Les fonds communs d’obligations ont échappé aux dévastations du cyclone COVID-19 au printemps dernier. Mais le risque d’une crise de liquidité pourrait resurgir si la pandémie provoque un nouveau grand confinement.

En mars dernier, alors que la COVID-19 forçait à un grand confinement, les fonds obligataires canadiens ont subi des pertes moyennes de 3,4 %. Au cours de ce mois, les rachats nets ont atteint 14,4 G$, soit 4,5 % de l’actif sous gestion, précise une étude de la Banque du Canada intitulée «Ce que la pandémie nous a appris sur la résilience des fonds obligataires».

De fortes tensions ont alors ceinturé le marché obligataire, rappelle Dan Hallett, vice-président et directeur de HighView Financial Group. «Pendant un bref moment, il était même devenu difficile de négocier des obligations de gouvernements provinciaux», note cet analyste de fonds.

Le marché obligataire a toutefois tenu bon. Car selon un modèle de test de résistance mené par la Banque du Canada, les demandes de remboursement auraient dû atteindre, en mars, l’impressionnante somme de 30,7 G$, soit 9,5 % de la valeur des actifs sous gestion. Si une telle vague s’était concrétisée, certains fonds obligataires auraient été contraints de céder des actifs peu liquides dans des conditions défavorables, ce qui aurait accéléré la baisse de leur valeur et enflammé les demandes de rachat.

«Le pire scénario, celui de la crise de liquidité, a été évité. Mais s’il y avait un second grand confinement, ces fonds et leurs gestionnaires s’en sortiraient-ils aussi facilement ?»se demande Jean Morissette.

Comptant plus de 30 ans d’expérience dans la gestion de fonds, Jean Morissette préside actuellement le comité d’examen indépendant des fonds communs d’IA Clarington. Il évoque l’impact décisif des interventions gouvernementales à l’heure de l’apparition du cyclone COVID-19.

«Les gouvernements ont injecté d’énormes sommes d’argent, de sorte que les gens n’ont pas eu à vider leurs épargnes», dit-il. De plus, les manufacturiers de fonds «ont extrêmement bien communiqué les tenants et aboutissants de la situation à leurs clientèles, ce qui a évité l’affolement».

Un troisième facteur a contribué à calmer le jeu:la popularité grandissante de la gestion discrétionnaire. «Ces conseillers ont limité le mouvement de panique parce qu’ils n’ont pas à consulter leurs clients dans la mesure où leurs décisions s’harmonisent aux politiques établies de gestion du risque», signale Jean Morissette.

Prévenir le risque d’illiquidité

Cela dit, si la montée de la pandémie amenait un nouveau grand confinement, le spectre d’une crise de liquidité pourrait revenir, selon Norman Raschkowan, président et cofondateur de la firme de gestion de patrimoine Investissements DixCarré et ancien vice-président exécutif chez Placements Mackenzie. «La liquidité est rarement un défi lorsque les marchés financiers sont solides. De nombreux actifs normalement illiquides peuvent même sembler devenir liquides. Nous l’avons constaté avec les obligations à haut rendement. Cependant, lorsque les marchés subissent un choc ou que l’on passe à un marché baissier, la liquidité peut s’évaporer pour de nombreux actifs», explique-t-il.

Afin de faire face à ce risque d’illiquidité, Dan Hallett propose d’instaurer des «compartiments de liquidité»(liquidity buckets) à l’intérieur des fonds communs. «Une certaine partie de l’actif en portefeuille pourrait être réservée à l’achat de titres de meilleure qualité et plus liquides. Par exemple, certains fonds de prêts bancaires détiennent déjà des obligations à haut rendement pour une meilleure liquidité. Cependant, au moment même où on en aurait besoin, ces obligations pourraient bien n’être pas beaucoup plus liquides que les prêts détenus dans ces fonds !»indique-t-il.

«Il n’y a pas de solution parfaite», souligne Dan Hallett.

Cadre réglementaire plus serré

Norman Raschkowan en appelle à un cadre réglementaire plus contraignant.

Premièrement, il souhaite que des niveaux de trésorerie minimaux soient définis pour chaque catégorie de fonds. «Il semble que les réserves de trésorerie des fonds obligataires, des fonds d’actions et des fonds équilibrés ont eu tendance à baisser au cours des dernières années. Cela n’est pas surprenant, car le faible rendement des liquidités est perçu comme un frein à la performance, alors que les fonds sont vendus par l’effet de leur performance», explique-t-il.

Selon lui, les autorités de réglementation devraient «exiger que les politiques de rachat soient établies en fonction de la liquidité des actifs sous-jacents». Dans cet esprit, il soulève la possibilité que la relance des fonds alternatifs, depuis janvier 2019, puisse mal se terminer, «comme lors de la crise financière de 2008-2009».

«Je soupçonne que le marché haussier a créé l’illusion que les actifs alternatifs sont devenus liquides. Le prochain choc des marchés financiers pourrait probablement prouver le contraire», dit Norman Raschkowan.

Ce connaisseur ajoute une troisième suggestion: permettre aux fonds d’être commercialisés en tenant compte de l’écart entre les cours acheteur et les cours vendeur. «Plus l’actif est illiquide, plus l’écart acheteur-vendeur est important. Étant donné que cet écart s’élargira ou se rétrécira selon les conditions du marché, il rendra le risque de liquidité plus évident pour les investisseurs», estime-t-il.

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) iront-elles dans cette direction ?

En septembre, l’organisme a publié l’Avis 81-333 intitulé «Indications sur un cadre efficace de gestion du risque de liquidité à l’intention des fonds d’investissement». Les ACVM ouvrent le débat et signalent leur intention de garantir que les fonds puissent satisfaire les demandes de rachat sans impact significatif sur les porteurs de parts restantes.

Notre demande d’entrevue auprès des ACVM a été déclinée, «des étapes restant à franchir» avant de pouvoir commenter le dossier.