Dessin en noir et blanc d'un homme d'affaire qui pense.
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ASPECTS CIVILS

Sur le plan civil, le constituant d’une fiducie, appelé « auteur » (par. 108(1) « auteur ou disposant » L.I.R.) dans les lois fiscales, doit avoir un intérêt à créer la fiducie. D’ailleurs, selon la jurisprudence fiscale qui s’est basée sur la théorie de common law, dite des « trois certitudes », il s’agit d’une des conditions à respecter pour déterminer si nous sommes véritablement en présence d’une fiducie (Antle c. La Reine, [2010] 4 C.T.C. 2327; Fraser c. MRN, 95 D.T.C. 5684; Sommerer c. La Reine, [2011] 4 C.T.C. 2068; Yu c. Canada, 2016 D.T.C. 1012).

Comme la fiducie du Québec est généralement constituée par un don, le constituant doit être une personne qui souhaite faire un don, c’est-à-dire transférer à titre gratuit un bien de son patrimoine à un autre patrimoine (art. 1806 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »)). Pour ces raisons, il est recommandé que le constituant soit une personne qui a l’animus donandi, c’est-à-dire l’intention de s’appauvrir au bénéfice des bénéficiaires de la fiducie.

Dans une fiducie discrétionnaire et pour des raisons fiscales (par. 75(2) et 107(4.1) L.I.R.), le constituant ne doit généralement pas être l’un des bénéficiaires, ni actuel ni éventuel. C’est la raison pour laquelle dans la clause de désastre qui vise la situation où tous les bénéficiaires sont décédés, il ne faut pas prévoir que le capital sera remis au constituant, même si c’est ce que prévoit l’article 1297 C.c.Q. Si rien n’est prévu et qu’en cas de désastre le capital est effectivement remis au constituant par application de l’article 1297 C.c.Q., le paragraphe 75(2) L.I.R., qui précise « détient des biens à condition », ne s’applique pas parce que cette remise ne résulte pas d’une condition prévue à l’acte, mais bien des dispositions du Code civil du Québec.

Les personnes qui ont généralement l’animus donandi se retrouvent surtout parmi les suivantes : parents, grands-parents, frères, sœurs, beaux-frères, belles-sœurs, oncles, tantes, cousins, cousines d’au moins un des bénéficiaires, ou autres parents ou alliés plus éloignés d’un ou plusieurs des bénéficiaires. S’il ne se trouve personne dans ce groupe pour agir comme constituant, le deuxième groupe à examiner est celui des proches amis de la famille. Exprimé autrement, il s’agit d’une personne qui est, à l’occasion, invitée chez un des bénéficiaires de la fiducie. S’il est impossible de trouver un constituant parmi les personnes du second groupe, le troisième groupe à analyser est celui des collègues de travail, de loisir ou d’activités sociales. Un « ami » sur Facebook ne se qualifie pas à ce seul titre.

Comme l’article 1297 C.c.Q. prévoit qu’advenant le cas où la fiducie ne compte plus aucun bénéficiaire, son capital est remis au constituant, il faut alors soit s’assurer que le constituant est véritablement la personne à qui il est souhaité que le capital de la fiducie soit remis en l’absence de clauses spécifiques à l’effet contraire si tous les bénéficiaires de la fiducie décèdent, soit prévoir une clause spécifique à l’effet contraire.

Il y a quelques années, nous avons examiné un acte de fiducie où le constituant était un juriste fiscaliste. Les bénéficiaires étaient Monsieur, Madame et leurs deux enfants, lesquels voyagent souvent ensemble. Aucune clause ne prévoyait à qui serait remis le capital de la fiducie advenant le décès des quatre bénéficiaires. Cette fiducie détenait des actions d’une société de portefeuille dont la valeur excédait 1 M$. Dans cette situation, advenant le décès des quatre bénéficiaires, la totalité du patrimoine aurait été remise au juriste qui avait rédigé l’acte et qui s’était gracieusement offert pour agir à titre de constituant de la fiducie.

Il n’est pas requis que le constituant réside au Canada.

Si le constituant est un non-résident du Canada, il faudra vérifier si les lois de sa résidence prévoient des règles de conformité (compliance), l’obligeant à déclarer qu’il a effectué une contribution à une fiducie non résidente par rapport à son pays de résidence. Selon la nature et la valeur des biens donnés et détenus par une fiducie, ces rapports peuvent s’avérer coûteux à produire même s’il n’en résulte aucun inconvénient fiscal pour le constituant. De plus, même s’il n’y a aucune augmentation des impôts pour le constituant non résident, son pays de résidence peut prévoir des pénalités onéreuses pour la non-production de déclarations de renseignements requises.

Il est préférable, voire important, de documenter le fait que le don constitutif a été acquis par le constituant.

Il y a quelques années, nous avons pris connaissance des termes d’une fiducie discrétionnaire qui, à première vue, n’avait pas de lacunes. Élargissant le cadre de notre analyse, nous avons par la suite découvert que le cabinet de comptables avait clairement indiqué sur sa note d’honoraires, adressée au client qui était l’un des bénéficiaires de la fiducie, un montant pour couvrir l’achat du lingot d’argent vendu par ce cabinet. Cette situation provoque certainement l’application du paragraphe 75(2) L.I.R. et empêche la remise des biens de la fiducie sans impôt selon le paragraphe 107(4.1) L.I.R.

Un autre élément à considérer est de savoir si le don constitutif lui-même générera du revenu ou s’il sera susceptible d’accroître le capital. En d’autres termes, le don constitutif est-il un bien qui ne génère aucun revenu et peu de gain, tel un lingot de métal précieux, épreuve numismatique ou philatélique (appelé « bien de type lingot ») ? À l’inverse, le don constitutif ou un bien acquis en remploi est-il un bien susceptible de générer des revenus ou d’augmenter de valeur ? Par exemple, des actions avec droit de participation souscrites par le constituant lors de la constitution d’une société par actions ou à la suite d’une opération de type « gel » ou une somme d’argent qui servira à la souscription de telles actions.

Nous regarderons plus loin certains aspects fiscaux de cette question, mais pour l’instant, rappelons simplement que si le don constitutif est fait en actions ou en argent qui sert à l’acquisition d’actions avec droit de participation, et que ces actions sont remises 20 ans plus tard à un bénéficiaire qui est un enfant de l’auteur du gel qui est alors marié sous le régime de la société d’acquêts, les actions qui lui seront remises seront des biens propres, étant donné qu’il s’agit clairement de biens donnés par le constituant, détenus pendant quelque temps par un fiduciaire et remis par la suite au bénéficiaire. En effet, selon l’article 450, paragraphes 2 et 3 C.c.Q., sont propres à chacun des époux les biens qui lui échoient par donation et les biens acquis en remplacement d’un propre.

À l’inverse, si la fiducie a été constituée à même le don d’un bien non productif de revenus, que la fiducie contracte un emprunt pour souscrire à des actions qui sont remises à un tel enfant, les actions remises seront considérées comme étant des acquêts et non des propres, et ce, même si la fiducie contient une « clause de propres » et même si les actions sont remises à titre gratuit.

Cette conclusion est similaire à l’égard des législations traitant des biens patrimoniaux comme la Family Law Act que l’on retrouve dans la majorité des provinces canadiennes hors Québec (pour une analyse de ces questions, voir Marc JOLIN, « Droits matrimoniaux au Québec et planification successorale », Meredith Lectures, Éditions Yvon Blais, 1991, p. 49; J. F. KENNEDY, « Estate Planning and Ontario’s Family Law Act », Meredith Lectures, Éditions Yvon Blais, 1991, p. 27).

Lorsqu’une fiducie est créée avec un bien de type lingot, il y a beaucoup moins de questions à se poser et plus d’écueils que lorsque le don constitutif consiste en des actions ou en une somme d’argent qui sert à en acquérir.

ASPECTS FISCAUX

Choix d’un ascendant comme constituant

Plusieurs fiducies rédigées au Québec au cours des 20 dernières années contiennent un ensemble de clauses traitant du choix par un bénéficiaire privilégié prévu au paragraphe 104(14) L.I.R. Lorsque nous prenons connaissance d’une telle fiducie, la première question que nous posons à l’auteur du gel est la suivante : Le constituant est-il un ascendant d’un des bénéficiaires de la fiducie ? Pourquoi ? Selon le paragraphe 108(1) « bénéficiaire privilégié » L.I.R., un bénéficiaire privilégié d’une fiducie discrétionnaire ne peut exister que si l’auteur de la fiducie est un ascendant ou un conjoint de ce bénéficiaire.

Ensuite, nous posons la question : Un des bénéficiaires se qualifie-t-il au crédit d’impôt pour déficience mentale ou physique prévu au paragraphe 118.3(1) L.I.R. ? Pourquoi ? Un bénéficiaire privilégié doit être un particulier qui, s’il avait été majeur, se serait qualifié à ce crédit qui, rappelons-le, s’applique dans le cas de déficiences mentales ou physiques importantes.

De toute façon, il n’est pas requis qu’un acte de fiducie fasse référence au choix fait par une fiducie et un bénéficiaire privilégié pour y avoir droit.

En conséquence, si au moment de la rédaction d’une fiducie, il est porté à votre attention qu’un des bénéficiaires est ou risque d’être admissible au crédit pour déficience, il peut être avantageux que le constituant soit un ascendant d’un tel bénéficiaire.

Choix d’un constituant autre qu’un ascendant, un oncle ou une tante d’un bénéficiaire mineur

D’autre part, il existe quelques situations où le constituant d’une fiducie créée par don d’actions ou de biens qui servent à en acquérir ne devrait pas être un ascendant, un oncle ou une tante d’un bénéficiaire mineur. Il s’agit, entre autres, du cas où le don constitutif risque de produire des revenus qui seront payés à des bénéficiaires mineurs, situation plus rare depuis le nouveau régime de l’IRF, ou lorsque le don constitutif sert à acquérir des actions qui se qualifient d’AAPE, lesquelles feront l’objet d’une vente à des personnes non liées (par. 120.4(4) et 120.4(5) L.I.R.; al. 120.4(1)d) « montant exclu » L.I.R.), et qu’il est prévu ou possible qu’une partie du gain en capital imposable en résultant soit payé à un bénéficiaire mineur.

Dans ce cas, il n’y a pas de règle d’attribution pour faire en sorte que le gain en capital imposable payé à un enfant mineur soit réattribué à l’auteur, direct ou indirect, du transfert qui est un ascendant, un oncle ou une tante. Cependant, les paragraphes 74.1(2) et 248(5) L.I.R. s’appliquent au revenu produit par le gain en capital imposable payé ou attribué à l’enfant mineur pendant sa minorité, mais cette règle ne s’applique pas au revenu produit par le revenu (Bulletin d’interprétation IT-520, no 4).

Donc, dans le cas d’une fiducie discrétionnaire dont l’un des objectifs est la multiplication de la DGC, les questions suivantes doivent être posées.

Quelles sont les dates de naissance des enfants de l’auteur du gel ? Y a-t-il une probabilité qu’il puisse avoir d’autres enfants ? Quelle est la date la plus probable d’une vente d’AAPE à des tiers ?

Si les enfants sont âgés de 14 à 18 ans et qu’il est prévu qu’aucune vente d’AAPE ne surviendra avant quatre ans, un ascendant, souvent un grand-parent, un oncle ou une tante, pourra constituer sans risque la fiducie avec un don d’actions ou d’une somme d’argent qui sert à les acquérir. À l’inverse, si une vente d’actions est susceptible d’intervenir alors qu’un des enfants du client n’a pas atteint l’âge de la majorité, une des quatre solutions suivantes doit être examinée.

  • Le choix d’un constituant autre qu’un ascendant, un oncle ou une tante d’un bénéficiaire mineur qui peut constituer la fiducie avec des biens qui serviront à acquérir des AAPE;
  • Le constituant est un ascendant, un oncle ou une tante, mais le don constitutif est un bien de type lingot. Par la suite, la fiducie contracte un emprunt aux fins de souscrire aux AAPE;
  • Le constituant est un ascendant, un oncle ou une tante qui crée la fiducie par le don d’une somme d’argent qui sert à acquérir les AAPE, mais il est prévu que si des AAPE sont vendues et qu’une partie du gain en capital imposable résultant de la vente est payée à un bénéficiaire mineur, ou présumée payée à un tel bénéficiaire par le mécanisme prévu au paragraphe 104(18) L.I.R., le montant payé au bénéficiaire mineur sera investi seulement dans des produits financiers qui ne généreront que du gain en capital durant la minorité de ce bénéficiaire;
  • Le constituant est un ascendant, un oncle ou une tante qui ne réside pas au Canada et qui crée la fiducie avec le don d’une somme d’argent utilisée pour acquérir les AAPE.

Constituant, règles d’association et société d’acquêts

Examinons la situation suivante. Le client, un célibataire qui a deux jeunes enfants, détient toutes les actions d’une société exploitant une petite entreprise (« SEPE »). Il souhaite, advenant son décès et celui de ses enfants, que tout le capital de la fiducie mise en place à la suite d’un gel soit remis à sa sœur qui détient toutes les actions avec droit de vote et de participation d’une autre SEPE. Si l’acte de fiducie prévoit qu’advenant le décès du client et de ses enfants, le capital de la fiducie sera remis à sa sœur, cette dernière a donc un droit de bénéficiaire dans la fiducie au sens du paragraphe 248(25) L.I.R. Compte tenu de la décision dans l’arrêt Propep inc. c. MRN, (2009) CAF 274, et du sous-alinéa 256(1.2)f)(ii) L.I.R., la sœur du client est réputée détenir toutes les actions que la fiducie possède. Il y a donc risque que la SEPE du client soit associée avec la SEPE de sa sœur selon les alinéas 256(1)c), 256(1.2)c) et 256(1.2)f) et le sous-alinéa 256(1.2)f)(ii) L.I.R.

Pour éliminer ce risque, la sœur du client pourrait constituer la fiducie pour la famille de son frère. Dans ce cas, le don constitutif ne devrait pas être des actions de la SEPE du frère données par la sœur, car les dispositions du paragraphe 55(2) L.I.R. pourraient s’appliquer, si dans la même série d’opérations des rachats d’actions sont effectués, car la sœur n’est pas considérée comme étant une personne liée à son frère aux fins du paragraphe 55(2) L.I.R., selon le sous-alinéa 55(5)e)(i) L.I.R. Selon les termes de l’acte de fiducie, il n’est absolument rien prévu dans l’hypothèse où le client et ses enfants seraient décédés. Dans un tel cas, les dispositions du paragraphe 75(2) L.I.R. ne s’appliquent pas, selon l’interprétation technique 2003-0050671E5, étant donné que si les biens sont remis au constituant, ce n’est pas à cause des termes de l’acte de fiducie, mais plutôt à cause des dispositions de l’article 1297 C.c.Q., et la sœur n’a pas de droit de bénéficiaire dans la fiducie. Dans ce cas, les sous-alinéas 256(1.2)f)(ii) et 256(1.2)f)(iv) L.I.R. ne sont donc pas applicables.

Dans notre exemple, si la sœur donne une somme d’argent à la fiducie qui s’en sert pour acquérir toutes les actions avec droit de participation de la SEPE de son frère, la SEPE de la sœur ne sera pas associée à la SEPE de son frère, car le paragraphe 248(25) L.I.R. ne trouve pas application. Cependant, si la sœur souscrit aux actions de la SEPE de son frère et les donne à la fiducie, la SEPE de la sœur sera associée à la SEPE de son frère pour l’année durant laquelle la sœur y a détenu toutes les actions avec droit de vote pendant quelques jours.

Si la sœur est elle-même mariée sous le régime de la société d’acquêts, il est important que le don constitutif soit clairement un bien propre et qu’elle puisse le démontrer. Par exemple, si la sœur possède un compte de banque se composant clairement et uniquement de biens propres acquis selon les modalités décrites ci-dessous. Sinon, pour s’assurer que le don constitutif et les biens de remplacement sont des propres, on doit faire en sorte qu’une personne donne à la sœur un ou quelques billets de banque qui serviront de don constitutif, lesquels billets serviront à souscrire aux actions, accompagnés d’un contrat de don prévoyant qu’il s’agit d’un don, que les numéros de série des billets de banque soient clairement identifiés et qu’il soit aussi prévu que la qualification de biens propres s’applique non seulement au bien donné, mais également à des biens acquis en remplacement du bien donné de même qu’aux fruits et revenus en provenant (art. 450, par. 2 et 3 C.c.Q.).

Ainsi, si un constituant est marié sous le régime de la société d’acquêts et que, par application de l’article 1297 C.c.Q., il est possible que le capital de la fiducie lui soit remis, le don constitutif doit être un bien propre acquis de la façon indiquée au paragraphe précédent sauf si le constituant souhaite que ce bien soit un acquêt.

Étant donné que l’article 462 C.c.Q. prévoit qu’un époux marié sous le régime de la société d’acquêts ne peut, sans le consentement de son conjoint, disposer de ses acquêts entre vifs à titre gratuit si ce n’est de biens de peu de valeur ou de cadeaux d’usage, il est fortement conseillé, si le don constitutif consiste en des actions d’une société qui risquent de prendre une valeur importante à l’avenir, d’obtenir le consentement du conjoint.

Le constituant devenu bénéficiaire par alliance

Il faut toujours vérifier s’il existe une probabilité que le constituant devienne le conjoint d’un des bénéficiaires de la fiducie discrétionnaire lorsque, dans l’énumération des bénéficiaires, il est prévu qu’un conjoint d’un bénéficiaire est ou peut lui-même devenir bénéficiaire de la fiducie. Si cette situation se produisait, cela aurait pour effet de provoquer l’application du paragraphe 75(2) L.I.R. et donc indirectement l’impossibilité de remettre les biens de la fiducie sans impôt aux bénéficiaires (par. 107(2.1) et 107(4.1) L.I.R.; interprétation technique 2009-0352711E5).

Conclusion

Pour éviter des désagréments civils ou fiscaux, le choix du constituant ne doit pas être effectué de façon arbitraire. Ce choix doit être réfléchi et fait après une analyse des objectifs, de la situation familiale du constituant et de celle des bénéficiaires de même que des événements les plus probables pouvant survenir durant l’existence de la fiducie.

Par : Marc Jolin, M. Fisc., Marc Jolin, fiscaliste inc.

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Été 2020), vol. 25, no 2.